Depuis son arrivée sur la toile, Kickstarter a largement démocratisé le système du crowfunding. Le quoi ? L’appel aux fonds à des particuliers qui fait que monsieur Tout le monde peut
devenir producteur. En France, l’exemple le plus flagrant est à mettre au profit de My Major Company qui nous a fait subir le prénommé Grégoire. Face à l’abondance de nouveaux projets
participatifs concernant le cinéma, on peut se demander si le crowdfunding ne serait pas devenu l’avenir d’une profession de moins en moins prête à prendre des risques. Bref, le crowdfunding ne
serait-il pas devenu le nouveau cinéma indépendant modèle 2.0 ? Pas si sûr.
Fin 2012, David Fincher monte au créneau pour sauver le projet qu’il a avec Blur Studio d’adapter THE GOON. Depuis l’annonce du projet et la publication des premiers visuels, les
geeks s’affolent sur la toile à l’idée de voir adaptée les aventures du plombier dessoudeur de goules. Mais même si son univers est très proche de celui de Hellboy, dont il a croisé la route lors
d’une aventure, THE GOON n’est pas le comics le plus populaire du monde et même la présence de David Fincher (FIGHT CLUB, THE SOCIAL NETWORK)
n’a pu convaincre un grand studio de se lancer dans l’aventure. Fincher s’est donc tourné vers Kickstarter avec pour but de lever 400 000 dollars pour produire une bande démo qui montrerait tout
le potentiel du projet aux frileux studios. Fincher s'était même fendu d'une vidéo pour tout expliquer. La somme a été
atteinte assez rapidement et l’affaire suit son cours.
LES GEEKS A LA RESCOUSSE
Récemment, c’est VERONICA MARS qui a fait parler de ce nouveau mode de financement. Durant trois saisons, VERONICA MARS a été une série de haute tenue avec une ambiance particulière et une héroïne ultra charismatique. Mais faute d’audience, la quatrième saison n’a jamais vu le jour. Mais la série compte une base de fans très mobilisés. C’est à ces fans que le créateur de la série, Rob Thomas, fait appel sur Kickstarter pour lancer la production de VERONICA MARS, THE MOVIE, attendu depuis de longues années par la fan base mais jamais véritablement souhaité par Warner qui détient les droits de la série. Le but est simple, obtenir 2 millions de dollars pour produire le film en intégralité. Quatre heures après l’annonce de Thomas, Kickstarter enregistre déjà 1 millions de dollars –un record- et l’autre million arrive sept heures plus tard. Comme l’appel de dons dure 30 jours, le budget total devrait s’approcher des 4 millions de dollars. Devant cet enthousiasme, Warner donne le feu vert au film et se contentera de produire le marketing et la distribution du film. Victoire des fans qui ont su imposer un projet dont ne voulait pas le studio ? Pas certain.
Dans l’histoire, Warner ne prend aucun risque. VERONICA MARS, THE MOVIE ne devrait être distribué que dans quelques salles avant d’être proposé en VOD et d’atterrir dans les bacs DVD. Le film étant entièrement produit en indépendant, Warner ne peut que ressortir gagnant. En sera-t-il de même pour Rob Thomas et son équipe ? Un des principes de base de Kickstarter est de ne pas rémunérer les bailleurs de fonds en monnaie sonnante et trébuchante. Ne rêvez pas, vous ne vous enrichirez pas en participant à une campagne de crowfunding. Les "Backers" reçoivent des T-Shirts, des affiches, des scénarios dédicacés, des places pour les avant-premières. Au mieux, une visite sur le plateau de tournage et un rôle de figurant. Autant de goodies qu’il va falloir fabriquer et envoyer aux généreux donateurs. Autant de frais à la charge de la production qui seront amputés au budget de tournage. Et un vrai casse-tête logistique. En chemin, la logique du crowdfunding semble s’être pervertie puisque dans l’affaire, seule la Warner devrait parvenir à s’en mettre dans les poches. N’en demeure pas moins que les fans auront leur film et que sans leur mobilisation rien n’aurait été possible.
MICHELE LAROQUE ET L'INITIATIVE FRANÇAISE
Et le système ne cesse de séduire puisque la France s’y met également. Notamment à travers le site Touscoprod et l’initiative de Michèle Laroque. La comédienne cherche à sortir des réseaux traditionnels de production pour son projet JEUX DANGEREUX. La comédienne ne ménage pas sa peine pour expliquer son projet. Réunir 400 000 euros pour convaincre par la suite une grande maison de production de s’associer à elle pour finir de boucler le budget. En France comme ailleurs, les majors sont devenues frileuses. Michèle Laroque, qui pourrait simplement se contenter de monnayer sa popularité auprès des studios, tente le pari de montrer aux majors que son projet a déjà une assise populaire pour les convaincre de se lancer. D’ailleurs, si vous voulez faire partie de l’aventure, c’est ici que ça se passe.
L’initiative de Michèle Laroque est rafraîchissante dans un milieu du cinéma qui réfléchit trop en étude de marché et plus assez en direction artistique. C’est une bulle d’air dans un monde par trop cynique. C’est aussi peut-être assez naïf. Car si on souhaite à la comédienne d’aller au bout de son projet (au moment d’écrire ces lignes, 40% de la somme aurait été recuillie), on ne peut s’empêcher de penser que les gros bonnets de majors vont vite y voir leur intérêt. Face à un projet dont ils ne sont pas sûrs de la rentabilité, ce sera facile pour eux de renvoyer vers du crowdfunding et d’attendre le résultat sans prendre le moindre le risque. Or justement, n’est ce pas la nature première d’un producteur que de prendre des risques pour faire exister un film ? Hollywood emploie d’ailleurs le terme de playeur à ce sujet. Car effacer cette prise de risque où l’artistique l’emporte sur le financier revient à laisser les clés du cinéma à des promus d’écoles de commerce. Pas sûr que le spectateur en sorte gagnant.
Merci à CINEMATEASER pour les chiffres concernant VERONICA MARS.