THE GRANDMASTER occupe les pensées de Wong Kar-Wai depuis 1999 et le tournage de IN THE MOOD FOR LOVE. La destinée de Ip Man, maître légendaire du kung-fu et initiateur de Bruce Lee est devenue une obsession pour le réalisateur qui s’est lancé à cœur perdu dans un titanesque travail de recherche en même temps qu’il tournait 2046 (chef d’œuvre ignoré) et MY BLUBERRY NIGHTS (la preuve que son talent ne s’exporte pas). Wong Kar-Wai a même mis entre parenthèses toutes ses activités pour voyager trois ans à travers la Chine pour retrouver des archives perdues sur la vie de Ip Man. Le résultat en vaut-il la chandelle ? Oui et non.
Oui car d’un point de vue visuel THE GRANDMASTER est un émerveillement perpétuel. Wong Kar-Wai a mis trois mois pour filmer la seule scène d’ouverture. Il en résulte un des combat les plus beaux qu’il soit possible d’admirer sur un grand écran. Le tournage s’est donc étalé sur plusieurs années, ce qui est finalement courant chez le réalisateur qui met un soin maniaque à composer le moindre de ses plans. La volonté de ne pas faire appel aux effets numériques contribue à la sensation charnelle que l’on ressent à chaque image. Wong Kar-Wai, on le sait, est le maître des ralentis. Que ce soit la montée d’un escalier ou des gouttes de pluie sur un canotier, chaque élément est magnifié par cette distorsion temporelle si chère au réalisateur. Oui, la vie s’écoule en image saccadées chez Wong Kar-Wai, mais son film est pourtant bourré d’énergie. A-t-on vu quelque chose de plus beau ces dernières années ? La question mérite d’être posée. Tony Leung et Zhang Ziyi n’ont jamais été plus beaux et, d’un seul regard, vont passer une foule d’émotion. THE GRANDMASTER, par la grâce de son réalisateur et de ses acteurs est un tourbillon irrésistible d’émotion autant que d’action.
En revanche, on peut regretter que Wong Kar-Wai n’ait pas accordé autant de rigueur à son scénario. Le problème est que son film dure deux heures mais que l’on a la désagréable impression qu’il s’agit d’un montage court d’un film prévu initialement en six heures. Les coupes dans l’histoire sont si drastiques que l’on finit parfois par se demander devant quel film on est. Même Ip Man finit par devenir un personnage parmi d’autres, surtout lorsque l’histoire de Gong Er (Ziyi) devient centrale. On ne décroche jamais véritablement, hypnotisé par a maestria visuelle, mais on peine finalement à être totalement passionné. Dommage. Pas rédhibitoire, mais dommage. Du coup, on l’impression d’avoir vu un très bon film mais d’être passé à côté de ce qui aurait dû être un très grand film.